Vous n’avez encore rien vu, doux euphémisme
A bientôt 90 ans (il soufflera ses bougies le 3 juin prochain), Alain Resnais est un monument du cinéma français avec une stars longue comme le bras (pour n’en citer que quelques-uns, Nuit et Brouillard, Hiroshima mon amour, L’année dernière à Marienbad, Mon oncle d’Amérique, Smoking/No Smoking) mais qui n’a été récompensé qu’une seule fois à Cannes pour Mon Oncle d’Amérique Grand Prix du Jury en 1980 – pour être précis, il avait aussi reçu en 2009 un prix exceptionnel du Jury pour l’ensemble de sa carrière.
Il revient cette année avec un projet audacieux avec un titre qui met tout de suite la barre très haut : Vous n’avez encore rien vu. C’est dire que l’attente était forte - et la déception à la hauteur. Car en lieu et place d’un film, le spectateur a plutôt le droit à 1h40 d’une pièce de théâtre avec au début et à la fin un prétexte pour introduire plus cinématographiquement la représentation d’Eurydice librement inspiré du texte de Jean Anouilh. Et ça démarre très bien d’ailleurs : le majordome d’Antoine d’Anthac, célèbre dramaturge fictif, appelle à tour de rôle des acteurs pour leur apprendre la mort de leur ami Antoine. Le procédé est malin : Resnais introduit ainsi tous les comédiens de son film (Azéma et Arditi, fidèles parmi les fidèles, mais aussi Lambert Wilson, Anne Consigny, Mathieu Amalric, Anny Duperey, …) sur le même principe, en les filmant répondant au coup de téléphone leur annonçant la « sombre nouvelle ».Â
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Tous convoqués dans l’immense demeure d’Antoine, ils vont devoir répondre à la dernière volonté du défunt : regarder les répétitions filmées d’Eurydice (qu’ils ont tous joués naguère) par une jeune troupe de théâtre et décider si cette nouvelle adaptation de la pièce mérite d’être produite sur scène. Va alors commencer un curieux ballet entre l’écran et le salon où les acteurs réunis vont tous se souvenir du texte et se mettre à le réciter en même temps que les jeunes comédiens qu’ils observent à l’écran.
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On croit alors que ça ne va durer qu’un temps. Mais, las, on comprend vite qu’en réalité le film va se résumer aux 5 actes de la pièce. Bien sûr, il y a, après un début très statique, une mise en scène plus ambitieuse qui se met en place avec des décors virtuels, des split-screens, une réflexion sur le métier de comédiens et ce qu’ils deviennent en vieillissant. En plus du jeu entre les répétitions filmées et l’action dans la maison, il y a aussi un parallèle entre le couple
Azéma et
Arditi et
Wilson/Consigny qui aurait pu être intéressant si
Resnais n’abandonnait très vite toutes ses idées pour se concentrer presque uniquement sur son couple fétiche.Â
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Et non pas que je n’aime pas le théâtre, bien au contraire même, mais les répliques déclamées d’un texte très emphatique (c’est une vraie tragédie grecque) ennuient assez vite. Et quand je veux voir une pièce de théâtre, généralement je choisis d’aller au théâtre pas au cinéma. Le dispositif audacieux mais artificiel est à saluer mais il ne fonctionnera pas avec tout le monde, il risque même de laisser une majorité de spectateurs sur la touche, décontenancés par cette proposition de cinéma étrange qui ne fonctionne pas très bien sur la durée (le film fait près de 2h !)Â
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Nous n’avons donc tellement rien vu avec ce film-là que nous attendons avec impatience votre prochain film, Monsieur Resnais. Tout le mal que l’on vous souhaite : avoir la même longévité que Manoel de Oliveira, l’un de vos rares ainés dans le métier !
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Emmanuel Pujol