Tu seras mon fils

Tu seras mon fils, un drame psychologique enivrant

Pour son troisième long-métrage (après Malabar Princess et La jeune fille et les loups, du cinéma populaire plus qu’honorable), Gilles Legrand a planté sa caméra au cœur de l’un des vignobles les plus connus au monde : Saint Emilion et les secrets de ses vignes qui donnent naissance à des vins prestigieux et majestueux. C’est dans ce cadre magique, inondé par le soleil girondin, qu’un père et son fils travaillent sur le domaine familial. Mais Paul de Marseul, exigeant, sévère et parfois cruel, ne supporte pas l’idée que son fils Martin, pour qui il n’a guère d’affection ni de respect, puisse lui succéder un jour. Lorsque Philippe, le fils de son fidèle intendant, François Amelot, revient des Etats-Unis, la tension entre les deux hommes va atteindre un point de non-retour.

Drame familial construit comme un long flash-back - la scène d’introduction, sur un air funéraire de Vivaldi réarrangée par Armand Amar, escamote en partie le suspense au profit d’une formidable et étouffante tension psychologique présente tout au long du film puisque le spectateur sait déjà que l’irréparable a été commis mais ne sait pas pourquoi ni comment - le film de Gilles Legrand est une excellente surprise, un très bon cru avec une belle robe noire aux reflets sang pourpre qui reste longtemps en bouche (et en mémoire) pour filer la métaphore (facile) œnologique.

Et cette réussite est à mettre bien plus au crédit d’un casting plus que solide que d’une mise en scène sans réelle fausse note mais sans grande envergure non plus. Et c’est Niels Arestrup, en figure paternelle manipulatrice, en parfait « salopard farmer », qui donne au film toute son envergure. Retors à souhait, il trouve face à lui un Lorànt Deutsch étonnant de justesse en fils bafouillant, méprisé et humilié. Anne Marivin en épouse solidaire, Patrick Chesnais en fidèle compagnon modèle et l’inconnu – et très juste - Nicolas Bridet (dont le rôle devait revenir à Jocelyn Quivrin, décédé peu de temps avant le tournage) en Rastignac malgré lui complètent une distribution cohérente et convaincante.

Ecrit par le réalisateur et la romancière Delphine de Vigan (auteur, entre autres, de No et Moi dont l’adaptation ciné qu’en avait faite Zabou Breitman avait été produite par … Gilles Legrand !), le scénario fait la part belle aux personnages en leur donnant une vraie épaisseur, une véritable complexité, évitant soigneusement de verser dans un manichéisme facile. Car si les enfants ne choisissent pas leurs parents, l’inverse est également vrai. Cette guerre larvée entre un père et un fils qui n’ont plus la figure maternelle pour apaiser leurs tensions et leur incapacité à communiquer normalement cache bien des souffrances tues depuis trop longtemps.

On est bien loin ici de Pagnol (« La Gloire de mon père ») ou de Kipling (« Tu seras un homme, mon fils) mais dans un drame antique transposée dans l’univers séculaire du vin où les notions de dynastie et de transmission des valeurs et des secrets des grands crus de génération en génération sont essentielles. Excellente dégustation, donc !

Emmanuel Pujol