True Grit

True Grit, un western des frères Coen qui a de la moelle...

S'ils n'avaient encore jamais abordé frontalement un des genres phares du cinéma américain, les frères Coen ont déjà tourné autour du mythe du western dans certains dans leurs films, en premier lieu desquels No Country for Old Men (point commun entre les deux films ? Roger Deakins à la lumière qui donne à la photographie un grain assez unique) ou O'Brother. Cette fois, ils s'y attaquent pour de bon avec ce True Grit, tiré du roman éponyme (et apparemment très populaire - pour ne pas galvauder une fois encore le mot culte - outre Atlantique mais jusqu'ici plutôt inconnu en France) signé Charles Portis. N'ayant pas vu Cent dollars pour un Shérif, la version de 1969 signée Henry Hathaway et qui avait valu le seul Oscar de sa carrière à John Wayne, je me dois donc de croire sur parole les frères Coen qui affirment ne pas en avoir fait un remake (ils en dont déjà ouvertement fait un avec Ladykillers) mais avoir privilégié une relecture du livre originel.

Voici donc l'histoire de Mattie Ross, adolescente de 14 ans à la langue bien pendue (Hailee Steinfeld, premier rôle au cinéma, une vraie révélation), en quête de justice après l'assassinat de son père par le lâche Tom Chaney - tiens, cela rappelle le titre d'un autre western récent, le genre essayant tant bien que mal de se relever de ses cendres, porté par quelques réalisateurs ambitieux et nostalgiques après des années d'obsolescence. Les Coen maitrisent assez parfaitement leur petit western illustré - paysages poussiéreux à pertes de vue, vengeance et honneur, mythe de la frontière, étoile de shérif, chevauchée fantastique - tout en insufflant au genre, sans avoir l'air d'y toucher, leur patte bien personnelle : dialogues savoureux, cynisme affleurant, peinture de mœurs au vitriol...

Et qui de mieux que leur " Dude " fétiche, le décidément toujours génial Jeff Bridges, pour incarner Rooster Cogburn, un marshall certes vieillissant, borgne et alcoolique, au phrasé languissant mais à la férocité intacte et bien plus roublard et malin que sa carapace physique fatigué le laisse penser. Dans cette poursuite aussi improbable qu'impitoyable d'un méchant qui se révèlera bien pleutre (Josh Brolin en fait un poil trop), le duo mal assorti du vieux singe et de la jeune impudente se transformera en trio avec l'apparition du Ranger LaBoeuf qu'incarne Matt Damon (il est partout, ce garçon) avec un plaisir non feint du déguisement - superbes moustaches, accent trainant du Texas… Ils se lancent tous trois dans cette quête pour la même raison mais avec des objectifs et des idéaux radicalement différents, la justice, l'appât du gain et la vanité se disputant les honneurs…

Avec un tel hommage à un genre bien mal en point et presque désuet tout en détournant habilement certains de ses codes (tiens, il n'y aucune scène dans un saloon alors que Cogburn n'est pas le dernier porté sur la bouteille), les frères Coen insufflent un souffle moderne dans un écrin diablement classique et classieux. Et le plan final, renvoyant directement à Eastwood, d'une sobriété majestueuse, clôt un film bien plus ambitieux qu'il n'y parait, un film sacrément culotté… S'il fallait encore s'en persuader, voici une preuve supplémentaire : the Coen brothers have true grit !

Emmanuel Pujol

PS : Il faut absolument voir le film en VO, la bande annonce et les extraits disponibles en VF font plus que frémir, les voix choisies semblant transformer le film en nanar improbable…