Titre VO : 2046
Un film de Wong Kar-Wai avec Tony Leung (Tony Leung Chiu Wai) , Takuya Kimura , Chang Chen , Wang Sum , Bey Logan
Genre : comédie dramatique - Durée : 2h09 - Année de production : 2004
Date de sortie cinéma : 20 Octobre 2004
Distributeur :
Ce film est à l'affiche de 1 cinémas
Il était écrivain. Il pensait écrire de la science-fiction, mais il écrivait sur le passé. Dans son roman, un mystérieux train partait pour 2046, rempli de voyageurs à la recherche de leurs souvenirs perdus. Certains affirmaient qu'en 2046, les choses étaient immuables. Rien de sûr, car personne n'en était jamais revenu. Personne sauf lui.
Qu'est-ce qui peut plomber un film de Wong Kar-Wai, esthète du film romantique, maître toutes catégories du ballet des images et grand architecte de la plus belle histoire d'amour de ces 20 dernières années (»In the mood for love») ? Réponse dans ce «2046» : le montage. Un film mal monté peut trébucher sur ses meilleures idées, et «2046» n'en finit plus de boiter à l'écran.
Mais reprenons la bobine au début. «2046» est une déclaration d'amour à ses actrices, toutes filmées comme des anges incandescents. Il y a Gong Li, qui ouvre et ferme le film, vêtue de noir, pareille à une mante religieuse. Il y a Faye Wong, toute en fragilité, en ruptures, en cassures. Et il y a Zhang Ziyi, celle qui se taille la part du lion. Histoire de sexe qui n'ose pas s'avouer histoire d'amour, de corps qui se répondent mais de bouches qui ne parviennent pas à se parler. Cette suite sans être une suite de «In the mood for love» (2046 était le numéro de chambre des deux amoureux, la silhouette de Maggie Cheung est à nouveau brièvement visible, Tony Leung interprète un personnage découlant directement du précédent) ne manque pas d'atouts. Mais elle a un défaut majeur : elle n'est pas finie. Elle est sortie en salle en l'état d'ébauche.
3 ans, c'est le temps de «development hell» du film. 3 ans dont 2 ans de montage, voilà qui en dit long sur la confusion. Wong Kar Wai savait de quoi il voulait parler, mais savait-il comment le raconter ? A l'écran, les images sont belles mais ne signifient plus rien. En pilotage automatique, le script se distend et se reforme dans le bordel le plus total (ceci n'est pas un jeu de mot volontaire...). A l'écran, il n'y a plus de scénario. Il n'y a plus de cohérence. On retrouve des gimmicks, familiers (le thème musical est un copier-coller de celui d'In the mood for love, à quelques nuances près) ou agaçants (certains ralentis ne sont là que pour servir de signature). Quant aux allers-retours entre le passé (la réalité) et le futur (la fiction), ils perdent leur sens à mesure que le parcours du narrateur perd en lisibilité et gagne en opacité. Ce n'est pas le spectateur qui ne comprend pas : c'est le réalisateur qui refuse de choisir, d'agencer ses images, de leur imprimer un rythme. Un montage foireux, donc. Deux ans de gâchés.
Alors quoi ? «2046», un coup de bouquet dans l'eau ? Ou la dérive symptomatique d'un réalisateur qui finit par s'autoparodier, jouant éternellement sur les mêmes canevas ? Les spectateurs de son dernier film se sont déjà sans doute fait leur avis. Les films de Wong Kar Wai sont toujours aussi beaux, il est regrettable qu'ils ne tiennent plus que par cela.
2046 n'est pas un film facile à emboîter, pas un film facile à encaisser dans la mesure où la structure temporelle n'a aucune issue. Admirable histoire de passion fusionnelle entre un écrivain et une femme de mauvaise vie (interprétée par une Zhang Ziyi proprement hallucinante de beauté) dont les relations tumultueuses qu'ils entretiennent les poussent à s'aimer et se haïr dans tous les cas. A la structure lente, quasi ténébreuse, 2046 n'a de 2046 que le nom, dans la mesure où 80% du film se déroule dans les années 60, plus particulièrement entre 1968 et 1969. Un formidable jeu de gosse avec pour élément central le plaisir et l'amour (thème récurrent chez WKW). Les deux «colocataires» d'un vieil immeuble ostentatoire se cherchent, jouent jusqu'à tomber amoureux l'un de l'autre. Entre l'écriture de quelques lignes de son roman porno (il préfère les romans pornos, plus simples à écrire qu'un roman de sabre dit-il) Chow imagine une ville, une cité, même une époque totalement imaginaire, où les individus pourraient se retrouver : En 2046. A partir de là , ce métrage archi conceptuel prend une forme de produit purement expérimental où WKW pourrait laisser libre cours à son imagination la plus fantasque. Les personnages féminins, d'une grâce presque troublante s'avèrent être magnifiées telle une sculpture que l'on scruterait jusque dans les moindres détails pour en extraire la pépite la plus sulfureuse. Ainsi, Zhang Ziyi nous décroche la mâchoire à plusieurs reprises de part sa sensualité et son charme divins. La courte apparition de Maggie Cheung se suffit à elle seule tant elle dégage un pouvoir surréaliste, une classe, un respect tel qu'on ne dit mot en la voyant. De même que l'aura mystérieuse se dégageant des androïdes féminins, même machine on peut y déceler le moindre soucis, le moindre désarroi de vivre constamment dans le train en direction de 2046. Le film de WKW n'est pas un simple film comme les autres, c'est aussi une étrange et étonnante fusion entre l'image et la -formidable- musique. Ainsi, la réalisation pleine de raffinement titille la rétine plus d'une fois en jouant constamment avec les ombres, les silhouettes et même les couleurs, les textures (omniprésence du bois époque 68, contrastant fortement avec le métal et les néons du train pour 2046). L'utilisation excessive de la baisse d'image par seconde pourra rebuter au premier abord, mais on s'y fait vite, précisant quand a lieu le point de vue omniscient accompagné d'une voix off, celle de Chow, écrivain. Certes il écrit, joue aussi, mais il voit. Cependant, le récit est intriguant, mystérieux, presque pudique, comme si WKW ne voulait trop en dire. C'est ainsi que, paradoxalement, 2046 passe le plus clair de son temps à évoquer, narrer et décrire cette époque ancrée dans la fin des années 60. Bref, des acteurs et actrices parfaits, des décors sobrement mis en valeur, une mise en scène soignée et impeccable et une bande sonore des plus réussies m'ont fait passer 2 heures très agréables malgré une histoire qui a un peu de mal à démarrer.
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